Agé de 43 ans, Thomas Pesquet, entre dans le cercle fermé des spationautes qui ont effectué plus d’un séjour à bord du complexe orbital. A son retour, il deviendra le Français qui aura passé le plus de temps dans l’espace. Un parcours brillant pour ce Normand d’origine, doué d’un sang-froid et d’un pragmatisme à toute épreuve. Des qualités qui devraient l’amener à candidater, un jour, pour aller “décrocher” la Lune.

L’EXPRESS. Votre dernier vol remonte à 2017. Depuis, vous avez été un terrien presque comme les autres. Entre votre première expérience à bord de la station spatiale internationale (ISS) et la pandémie du Covid-19, qu’est-ce qui a changé dans votre vision du monde ?

Thomas Pesquet. Beaucoup de choses. Dans l’espace, à bord de l’ISS, on peut dire que l’on prend du recul rien qu’en observant cette petite boule bleue : tout est hyperconnecté, les frontières n’existent pas, si bien que l’on se dit que les nations ou les religions sont bien des choses inventées par l’homme. De même, le réchauffement climatique n’a pas de limite et les maladies non plus, comme on le voit avec l’actuelle pandémie. Face à de tels enjeux, les décisions doivent être mondiales parce qu’elles se révèlent inefficaces à l’échelle d’un pays. Nous vivons tous sur un même bateau fragile. Il n’y a pas besoin de monter à 400 kilomètres d’altitude pour cette prise de conscience, mais disons que cela permet de mettre ces phénomènes à une autre échelle, de les voir, de les ressentir plutôt que de les intellectualiser.

Ensuite, d’un point de vue strictement personnel, en 2017, j’imaginais un retour moins mouvementé. Je pensais que l’atterrissage, c’était le clap de fin comme dans un film. En fait, pas du tout, et les premiers mois ont été particulièrement denses. Entre la remise en forme, le bilan des expériences scientifiques dont j‘ai été l’objet et les activités de communication qui consistent à aller au-devant des gens pour partager mon expérience, tout cela a pris du temps, et moi, finalement, j’ai eu peu de vacances. Je savais que le retour fait partie de la mission. Ce que j’avais moins anticipé, c’était la notoriété. Cela me surprend toujours qu’on me reconnaisse lorsque je fais mes courses au supermarché.

Comment s’est passée la préparation de cette nouvelle mission baptisée “Alpha” ?

Tout a été très vite, avec une difficulté supplémentaire : l’entraînement s’est déroulé pendant la pandémie, ce qui, comme pour tout le monde, a bouleversé notre quotidien. Il a fallu se protéger constamment de la maladie en adaptant nos procédures, en faisant le plus de choses possibles à distance ou encore en annulant certains déplacements. Résultat, je suis resté beaucoup plus aux Etats-Unis parce que la Nasa est le plus grand centre d’entraînement. Cette phase de préparation s’est déroulée avec moins d’interactions sociales, ce qui a enlevé une bonne partie du côté fun de l’entraînement, comme lorsque l’on se retrouve entre collègues pour échanger notre ressenti. Là, le protocole était plus encadré et laissait peu de plages de liberté. Pour préparer six mois d’isolement à bord de l’ISS, j’ai passé quasiment un an à l’isolement, surveillé par les médecins qui, évidemment, ont tout fait pour que le Covid ne monte pas à bord de la station.

Heureusement, l’expérience de la première mission a joué en ma faveur. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas oubliées, comme le russe ou encore la maîtrise de certains systèmes de l’ISS. Enfin, j’ai eu la chance de faire deux sorties dans l’espace, si bien que j’ai eu un entraînement allégé : au lieu de 20 séances en piscine pour s’adapter aux conditions en impesanteur et répéter les opérations, je n’en ai eu que 9. En résumé, pour ma première mission, je m’étais entraîné trois ans et demi, là tout a été compressé en à peine une année.

Partir dans l’espace avec Space X et son Crew Dragon plutôt qu’avec le vaisseau russe Soyouz, c’est un peu passer de la Lada à la Tesla ?

[Rires.] Et on est même sur le modèle 2020, le plus récent. Il est tout neuf puisqu’il n’a effectué qu’un aller-retour en mai de l’année dernière. Il faut reconnaître à Space X un souci esthétique pas si courant dans le monde aéronautique. Ils font appel à des designers. L’intérieur de la capsule est plus spacieux, un look sympa, très épuré où tout est noir et blanc, genre 2001, l’Odyssée de l’espace. Rien à voir donc par rapport au Soyouz dont le cockpit se trouve tapissé d’interrupteurs, de cadrans, de manivelles, de valves qui s’ouvrent à la main, etc. Là, il n’y a que des écrans plats et tout se fait de façon tactile avec un index. Cela ne doit pas faire oublier que, dans le spatial, la sécurité prime. Le Crew Dragon reste un véhicule en développement alors que le Soyouz – près de 200 lancements réussis – n’a plus à faire preuve de sa fiabilité. Ne l’oublions jamais : c’est grâce aux Russes que l’homme peut aller dans l’espace depuis une décennie.

La station, c’est un énorme complexe orbital de la taille d’un terrain de football. Une fois arrivé à bord, il faut l’entretenir. Est-ce exact que les astronautes passent l’essentiel de leur temps à y jouer les hommes de ménage ?

Pas totalement faux. Il faut voir l’ISS, telle une base en environnement extrême et inhospitalier, un peu comme un sous-marin ou ces stations éloignées en Antarctique. La première tâche, c’est d’assurer sa survie et donc la bonne marche du vaisseau. Alors, les travaux de logistique prennent du temps comme pour s’occuper des ordures ménagères. A 400 kilomètres d’altitude, personne ne vient les ramasser sur le trottoir. On estime que, avec un équipage de six astronautes, les travaux de maintenance, de réparation et d’entretien occupent 50% du temps. Maintenant et grâce au Crew Dragon, nous allons passer à sept membres d’équipage, si bien que le travail dévolu à la science devrait augmenter, de l’ordre de 60 à 70% du quotidien. L’ISS assure la présence continue de l’homme dans l’espace depuis maintenant vingt ans, elle entre dans une nouvelle phase où les expériences scientifiques vont devenir prédominantes. Dans le domaine médical : système immunitaire, vieillissement, myopathie de Duchenne ou encore le cerveau. Avec l’espoir de fabriquer de nouveaux médicaments. Nous travaillerons aussi sur certains matériaux comme la fabrication de cristaux et dans le champ de la physique avec de nouveaux plasmas. Enfin, il y a l’environnement : on testera des emballages biodégradables à base de mousse, qui peuvent se manger. Autant de recherches qui auront des applications très concrètes, plus tard, sur Terre.

Il y a aussi un temps personnel, comme le dimanche qui est chômé. Par rapport à votre première mission, avez-vous prévu de l’occuper différemment ?

Il n’y a pas beaucoup d’options à bord de l’ISS. La première fois, j’ai passé presque tout mon temps libre à faire de la photographie, et cela m’a passionné. Je vais continuer parce que j’ai une liste longue comme le bras de sites que j’ai ratés, à l’instar du Machu Picchu. Cela étant, je pense aussi que je vais être un peu plus égoïste et prendre davantage de temps pour moi simplement pour regarder à travers la fenêtre et me faire des souvenirs. J’emporte aussi quelques objets personnels, pour mes proches et pour les gens qui m’ont entouré durant la préparation afin de leur donner à mon retour quelque chose qui a volé dans l’espace. Enfin, il y aura aussi des petites surprises liées aux événements sportifs qui, je l’espère, se dérouleront cet été comme Roland-Garros ou les Jeux olympiques.

Peut-on voir dans l’ISS un laboratoire pour se préparer à aller plus loin dans l’espace ?

Absolument. Elle sert aussi à préparer le futur, à savoir des missions vers la Lune et vers Mars, qui restent l’objectif pour l’homme dans les prochaines décennies. Ce voyage-là prendra six mois et semble difficile si, par exemple, on ne règle pas le problème de l’exposition aux radiations solaires. On se sert donc de l’ISS où elles sont déjà plus fortes que sur Terre pour voir comment y résister. J’emporte ainsi un dosimètre pour mieux les mesurer. J’aurai aussi un casque de réalité virtuelle, ce qui peut sembler ludique, mais, justement, pour un périple martien, il faudra bien occuper l’équipage sinon il va devenir fou. Cette dimension psychologique est primordiale et la réalité virtuelle peut nous aider.

Avant Mars, il y a aura la Lune avec le programme américain Artémis, qui vise un retour avant la fin de la décennie, dont l’Europe est partenaire. Avec un objectif, pour nous, y envoyer un ou deux astronautes. Vu votre âge, 43 ans, poser un jour le pied sur la Lune, vous y croyez ?

Oui, c’est possible. Il va falloir encore bosser un peu mais ça pourrait le faire [Rires]. Plus sérieusement, il faut voir la Lune comme une suite logique : après la maîtrise de l’orbite basse grâce à l’ISS, il y a celle de notre petit satellite naturel. Entre la Terre et l’ISS, il y a 400 kilomètres, et près de 400 000 entre nous et la Lune, donc un facteur mille. Puis, Mars, ce sera un million de fois plus difficile. Donc il faut y aller étape par étape et le retour sur la Lune en sera une. Non pour se contenter “simplement” de poser un drapeau, mais pour s’y installer durablement. D’abord avec une station spatiale à son voisinage, la fameuse LOP-G prévue par l’Agence américaine (Nasa) entre 2024 et 2026, puis par un débarquement avec la création d’une base lunaire, notamment pour apprendre à exploiter les ressources. L’Agence spatiale européenne (ESA) a déjà signé des accords avec la Nasa. Nous serons donc partie prenante, et cela se fera à l’échelle de la décennie. Dix ans, c’est long, et je ne peux pas trop anticiper mon avenir personnel, mais c’est un bel espoir.